Je les ai vus tout à l'heure. Sur la terrasse de leurs vies. En bordure de normalité. Chacun derrière son écran. Ils auraient pu être dans un café en plein Paris. Côte à côte dans un TGV. A table, chez des amis. Ils étaient sur mon mur facebook. Ils sont presque amis finalement. Déjà. Ils se répondent parfois sur mes posts, à moi. Je détiens ce privilège de connaître leurs visages, leurs vices et leurs ages. Pas de photos de profil, ils ont préféré des slogans, des hymnes, des pancartes.

Je le vois. Lui. Avec sa chemise rose. Il a du poser la veste de son costume sur le dossier d'une chaise, je le sais méticuleux. Par la force des choses. Il déguste un verre de vin, harassé par sa journée. Il a chaud. Il va et vient. Tournicote. Déplace des objets et transporte des papiers, quelques livres, d'un meuble à l'autre. Sans doute écoute t il de la musique Pas très fort. Un oeil sur fb au cas où. Il ne sait pas quoi faire de sa soirée pour tout dire. Il est très sollicité. Mais.

Je la vois. Elle en a marre de son appartement. De vivre seule dedans. Il est trop petit, ses rêves se cognent, ça lui fait mal souvent. Elle est sortie ce soir. C'etait bien. En toute sincérité elle aurait préféré un diner en tête à tête avec un beau mec. Elle s'etait maquillée. Il n'en reste pas grand chose. Parce qu'elle pleure lorsqu'elle rit. Et elle rit beaucoup. En même temps elle hausse un peu les épaules c'est insolite. Comme son célibat. Pourquoi? Elle a tout dirait ma grand-mère. Lui pareil. Un peu timides quand il s'agit d'être soi?

Alors quoi? C'est tellement plus commode de parler derrière son écran? Les mots viennent facilement? On devient celui, celle, l'autre. Le plus cocasse c'est qu'à chaque compliment je sais, moi, qu'elle rougit. Que c'est une vraie tomate qui répond d'un air détaché "Mouais, qui sait!". Et qui glousse trépigne et se réjouit. Lui...c'est kif kif bourricot. Il se la raconte. Il la chauffe à mort. Le plus drôle c'est que personne ne voit qu'il agite ses mains dans tous les sens. Qu'il souffle, soupire, s'esclaffe, pousse des petits cris de joie "yeah!!!!!!!!!!je t'ai eu poupée!!!!!!!!!!"

Elle est maligne aussi. Elle sait exactement ce qu'il faut dire pour le ferrer. D'ailleurs ils sont officiellement amis depuis peu. Ils se jaugent. A longueur de journée. Parfois ils se parlent. Qui fait le premier pas? Pas de règle, c'est à celui des deux qui se dira le premier "après tout aller feu je m'en fous je risque rien". ça papote un peu. L'un des deux se déconnecte. De temps en temps. Histoire de faire monter l'impatience. Guerre des nerfs. Avant c'était la danse du sioux devant le portable :sonne..sonne..SONNE SALOPRIE.

Désormais elle guette le petit rond vert qui indique qu'il est disponible. Pour parler. Et dès qu'il apparaît. Elle attend....elle a envie de se dire qu'elle le laisse "espérer". Et non. Rien. Pas un bonjour. Elle le nargue. Passe la caravane...Soudain, déclenchement les hostilités. Le tchat. Qui pourrait croire qu'il mène une réunion en même temps? Manage, organise, dépatouille. Qu'elle remplit des pots avec du terreau et plante de la menthe, de la verveine.

Derrière ces "je t'envoie un peu de soleil" il y a deux piles de linges une qui ne va pas se repasser toute seule et l'autre qui n'est pas sèche "merde il pleut en plus". Derrière ses "Tu as l'air juste adorable" il y trois macabés des experts Miami et les restes de son plateau télé à dix centimètres de l'ecran. lorsqu'un compliment arrive, "tu es la pertinence même"... elle fait quoi la pile de linge? Elle tombe parce que malgré tout, lorsque ça l'arrange... elle aime bien vibrer, rougir et bafouiller sur son clavier, en prenant tout, au "content". Après tout...personne, ne la voit.

Julie.

Je te vois.

Partager cet article