Tout un monde d'évasion
Je voulais vous raconter mon évasion. Oui, hier, après avoir rusé des heures durant pour tromper la vigilance des AUTRES -ceux qui sont programmés pour rouler à l'infini et au ralenti sur toutes les rocades, autoroutes, bretelles, voies rapides (ah ah ah !) et franciliennes entourant la Capitale - j'ai réussi à prendre la tangente.
J'ai débouché enfin sur l'A6, long ruban d'asphalte totalement désert et j'ai foncé vers le Grand Sud, direction Chez moi-là où je suis née.
Après un mois d'absence, je m'attendais à l'effet "retour de vacances", vous savez, quand on est tout déphasé de retrouver des lieux familiers, alors qu'on a encore dans la tête d'autres endroits dont la réalité s'efface déjà.
Mais bizarrement, il ne s'est rien passé. Comme si j'étais partie deux jours. Ca doit être ma façon à moi de gérer tout ça, une sorte de schizophrénie douce, avec une Rose de Pointoisie et une Rose de Beaunoisie, pas de mélange, une double vie qui s'organise, avec un minimum de passerelles entre mes deux mondes.
Un minimum de passerelles, mais des passerelles quand même. De Pontoisie ou de Beaunoisie, il y a toujours une Bridget qui sommeille en Rose. La preuve ?
J'ai enfin pu récupérer mon téléphone portable, tombé en panne trois jours avant mon départ il y a un mois et envoyé au SAV malgré mes supplications ("je ne peux pas juste en racheter un autre ?" -"non, il est sous garantie, on l'envoie au SAV"-"mais, je..."- "Nan, on vous dit !").
En fin d'après-midi, envie soudaine de passer un appel depuis mon mobile tout beau tout réparé.
Frôlage de touche "mes contacts".
Réponse : "vous avez : 0 contacts".
Quoi ?
Comment ?
Pardon ?
Qu'est-ce à dire ?
Restant d'un calme olympien, j'ai appliqué les gestes de premiers secours préconisés en cas d'urgence : décapsuler le téléphone, enlever la batterie, enlever la carte SIM, remettre la carte SIM, remettre la batterie, recapsuler le téléphone, rallumer le téléphone.
"Mes contacts" sont toujours vides.
Hum.
Evoluant vers un calme plus relatif qu'olympien, je recommence l'opération plusieurs fois.
Avec le même non-résultat.
D'accord. Ca ne finira jamais.
Désormais animée d'une incoercible rage, je fonce telle une furie en direction de l'agence SFR (pour ne pas la nommer), prête à provoquer un scandale sans précédent dans l'histoire de la Beaunoisie.
Je retombe sur le Monsieur SFR que j'avais vu quelques heures plus tôt, il me reconnaît et croise aussitôt ses bras dans un geste aussi inconscient que protecteur.
Forte de mes 15 années de théâtre, je lui tends l'objet d'un air outré, déclamant avec force : " Je n'ai plus aucun contact, ma carte SIM est viiiiide, vous avez une explication, J'ESPERE ?!"
Monsieur SFR lève un sourcil surpris, empoigne l'engin. Le décapsule (vas-y donc), enlève la batterie (mais oui c'est ça), enlève la carte SIM (ben voyons), remet la carte SIM (si tu crois que je ne l'ai pas déjà fait), remet la batterie (je ne suis pas complètement stupide non plus), recapsule et rallume.
Le portable affiche normalement ma liste de contacts.
"Ben, ça marche...", me lance Monsieur SFR, mi-goguenard mi-énervé.
Voilà. Je suis passée pour une conne. Désolée, c'est un peu cru, mais il n'y a pas d'autre mot.
Juste une conne.
Balbutiant entre colère et désintégration totale : " Oui mais bon, hein, quand même, il y a dix minutes ça marchait plus, alors il y a quand même un souci, quand même...".
Monsieur SFR attend que je termine de marmonner, d'un air affable ; je lis dans ses yeux remplis de fausse compréhension un message du genre : " Je m'en fous de ta vie, il est 18 heures, je suis là depuis 9 heures ce matin, CASSE-TOI pétasse !".
Alors je me suis cassée. Et je suis rentrée chez moi. Où, déjà ?
Rose