On achève bien les canards
Que les choses soient claires. Je suis plutôt perçue comme une fille sympa bourrée d'humour. Ayant pratiqué avec plus ou moins de constance la musique, le théâtre et le chant, je sais aussi tous les efforts consentis pendant des semaines et des mois de répétition, pour assurer LE spectacle de fin d'année. Dans ma vie passée de journaliste, j'étais toujours d'une indulgence presque suspecte pour les amateurs se risquant sur une scène, quelle que soit la discipline choisie. Ne JAMAIS pourrir les gens qui osent se produire en public, telle était ma devise.
Et puis en ce dimanche après-midi de fête des mères, je suis allée encourager ma maman qui fait partie d'une chorale. Ca ne m'enchantait pas. Je ne cache pas ma rancoeur envers Christophe Barratier, qui a laissé croire à des milliers (des dizaines de milliers ?) de personnes sans talent particulier qu'elles pouvaient CHANTER en PUBLIC. Mais enfin, c'est ma mère.
Et là, l'esprit de Florence Foresti - celle d'avant la maternité - a pris possession du mien. La première partie était assurée par les adorables mômes de l'école primaire du village. Bouilles à croquer, sourires édentés, rubans dans les cheveux pour les petites filles et cravates pour les petits garçons.
Ils ont ouvert la bouche.
Mon cauchemar a commencé. Un cauchemar qui ressemblait aux Oiseaux d'Hitchcock, sauf qu'à la place des mouettes et des corbeaux, c'étaient des canards qui s'envolaient dans tous les sens. J'ai senti mes yeux s'agrandir d'horreur. Ces gamins, ils venaient directement du Village des damnés, ils auraient fait exploser le cerveau des Martiens de Mars Attacks, mais personne ne s'en rendait compte, tout le monde souriait bêtement, ça flashait dans tous les sens. J'aurais voulu me lever et crier : "Partez, fuyez, ils vont vous transformer en légumes !", mais je ne pouvais plus bouger, j'étais paralysée par les cris stridents.
Une demi-heure, ça a duré. Et j'ai applaudi comme les autres, un rictus coincé en travers du visage...
Oui, je sais, je suis odieuse, ça se sent que j'ai pas de gosses, je peux pas comprendre, je ne suis qu'une sale égoïste asociale. OK. Et j'en rajoute même une couche : j'aurais préféré boire une bière en terrasse, au soleil finissant et raconter les derniers potins avec les copines, au lieu de vivre ces 30 minutes. Voilà. Je pense que biologiquement, les parents sont programmés pour aimer même les ratages de leurs gamins. Tant mieux d'ailleurs, sinon le violon serait un instrument aujourd'hui disparu. Mais je me dis que les candidats de la téléréalité qu'on voit, parfois, se casser la voix pour poursuivre leur voie, ont peut-être été des petits chanteurs de chorale à qui personne n'a jamais dit : " ARRETE, fais du macramé, du foot, de la peinture sur soie, n'importe quoi, mais NE CHANTE PAS".
Et puis vous pouvez toujours m'insulter parce que je n'aime pas entendre des gamins massacrer Armstrong de Claude Nougaro. Moi tout ce que je vois, c'est que j'ai accepté de me faire saigner les oreilles pour ma maman. Et qu'il n'y a que pour elle que je le ferais. Parce que je suis biologiquement programmée pour aimer même ses ratages.
Rose